11.6.15

Chroniques de harcelement de rue : Je rentre seule ce soir…


A toi l’homme qui a peu ou pas expérimenté ces sentiments, à toi la femme qui n’a peut-être jamais eu à les affronter, à tout ceux qui pensent que nous exagérons. Voici ce qu’il se passe dans nos têtes, nous les victimes quotidiennes du harcèlement de rue quand l’un des plus angoissants scénario se présente à nous : rentrer seule chez soi. La nuit. 


19h : Je décolle pour ma soirée,  mes clés, mon sac, un petit blazer pour le retour au cas où, je suis parée pour sortir. J’enfile mes talons, je nourris le chat et je bouge. 

19h10 : Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ? Je porte une robe, j’ai pas une plume dans le cul tout de même ! Je sais bien que le beau temps est arrivé brusquement mais ils ont déjà vu des jambes ces gens. 

19h12 : Le prochain qui m’interpelle lâchement de sa voiture je l’insulte. 

19h13 : De toute façon tirer sur ma robe ne servira à rien, elle remonte. 

19h30 : Ravie d’être sortie du métro, c’est la rue en pire. Tous les types de relous réunis en un seul lieu étroit, oppressant et surchauffé. Mateurs, frotteurs, dragueurs en carton tous rassemblés dans une cour des miracles mouvante. 

23h : Qu’est-ce que je fais ? Les métros arrêtent de circuler dans une heure, je me dépêche pour attraper le dernier ou je choppe un Uber ? 

23h15 : Les filles ont pris leur vélo, elles ne prendront pas le métro avec moi. 

23h30 : C’est bien ce qu’il me semblait les Uber circulent pas dans ce quartier, j’ai pas les moyens de payer 40€ la course. Encore moins un taxi. 

23h40 : Je vais rentrer en métro. 

23h50 : Marche plus vite, le métro n’est plus très loin.  Ignore-les. 

00h : Deux. Nous sommes deux filles dans le métro pour une dizaine d’hommes dans cette rame. Et j’ai peur, ces types ne sont probablement pas plus dangereux que moi mais trop de mauvais souvenir vécus dans ce même type de schémas. Comme la fois ou malgré mon livre et mes écouteurs deux gars se sont assis à côté de moi en me faisant des avances peu délicates. La fois où un autre m’a assurée qu’il me dominait sexuellement et qu’il pourrait me le prouver. Celle où un type ivre m’a suivie en m’insultant en sortant de la rame. 

00h05 : Ne te fais pas remarquer, ne bouge pas, baisse le regard, air l’air concentrée sur autre chose.  Pourquoi j’ai mis une robe ? 

00h10 : Enfin dehors.  Je suis bientôt à la maison. 

00h12 : Pourquoi les rues sont si longues et peu éclairées ?  

00h20 : Je suis bientôt à la maison. Il y a un type derrière moi, je vais sortir mon téléphone et simuler un appel pour ne pas être emmerdée. 

00h21 : Il est toujours derrière moi, je vais ralentir, j’ai pas envie qu’il puisse voir où je vais m’arrêter.  Pas comme la dernière fois où ce type a ralenti en traitre pour me suivre et m’avoir « à l’arrêt ».  Est-ce qu’on balance toutes le fameux prétexte du « copain » pour pas qu’ils insistent ? 

00h25 : C’est bon j’y suis il m’a dépassée. Vite le code et je suis en sécurité. 

00h26 : J’enclenche pas l’éclairage des parties communes tant que je ne suis pas à mon étage, on pourrait voir à quelle hauteur je suis à travers la baie vitrée du hall sinon. 

00h27 : La porte est fermée c’est bon. 

Ce cheminement c’est celui que j’ai régulièrement quand je suis invitée à sortir et que je sais que je vais me retrouver seule pour le retour. Pas de copain en voiture pour me ramener, pas de copine habitant dans le coin (et quand bien même pas dans la même rue), pas les sous pour un taxi… c’est l’angoisse totale dans ma tête car mes précédentes expériences et le harcèlement que je vis au quotidien m’on rendue méfiante. Paranoïaque même

Pourtant je ne suis pas de celles qui généralisent, je sais pertinemment qu’un type qui commet des actes de harcèlement de rue ne s’exprime pas au nom de tous les hommes. Je côtoie des mecs bien au quotidien. Mais être abordée, sifflée, mâtée tous les jours ça influence le comportement, les réflexes, l’instinct. On se dit que la malchance, les probabilités, les circonstances peuvent nous confronter à ces situations qu’on redoute. Ces situations qui dérapent le plus souvent la nuit. 

De jour j’ai tendance à ne pas me laisser faire, il y a du monde dans les rues,  de l’aide disponible presque à portée de main. La nuit l’ambiance est lourde, tendue, on ne voit pas le paysage du même œil, les relous de jour se transforment en prédateurs la nuit.  Alors on flippe, on développe des techniques pour ne pas se faire remarquer, on culpabilise d’être nous, on est hypersensibles à notre entourage. On imagine tout jusqu’à l’impensable. On regrette presque d’être une femme. Plus fragile, plus "accessible". 

Alors non on n’exagère pas quand on explique qu’on est pas rassurées parce que le harcèlement de rue encore plus banalisé de jour a des répercutions terribles la nuit. On vit des situations qui peuvent paraître à certains banales, inoffensives, se faire siffler après tout c’est plutôt flatteur ? Et bien non de jour c’est déjà dégradant, de nuit c’est synonyme de menace

Nous ne sommes pas prétentieuses, dans l’excès, sans recul. Nous sommes confrontées à des situations que vous ne vivez pas. Ne les jugez pas sans les connaître. Tout ce qu’on cherche c’est de la compréhension, de l’aide et de la solidarité. 

Pour arrêter d’avoir peur

3 Responses so far.

  1. Ton article est très vrai, super touchant et hyper bien écrit. Il décrit mot à mot ce que nous sommes beaucoup à penser et à vivre chaque jour (malheureusement). Ca me sidère d'entendre des choses du style "Oui, mais c'est flatteur", "Boaaah c'est pas méchant", "Mais ça arrive pas si souvent que â, t'exagères", etc. etc. C'est comme infliger une double peine : celle d'avoir à vivre le harcèlement de rue, et celle d'être incomprise, de passer pour celle qui déraille, se la joue, exagère ...

  2. C'est dingue, j'avais exactement les mêmes pensées quand j'habitais à Lille et que je rentrais chez moi toute seule. Ce même soulagement quand tu refermes d'abord la porte du bas de ton immeuble. Ce deuxième soulagement quand tu fermes la porte de ton appartement à double tour. J'ai eu les mêmes réflexions quand je suis retournée seule par le dernier métro à ma voiture il y a deux semaines. J'étais soulagée une fois enfermée dans ma voiture, mais pas totalement, j'avais hâte d'être sortie du quartier.

  3. Texte très bien écrit, qui décrit parfaitement ce que l'on ressent.

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