13.3.14

Les Bourgeoises - Sylvie Ohayon

Les Bourgeoises c'est le livre qu’on attrape parce que sa couverture a attiré notre regard et son titre dessiné un sourire amusé sur nos lèvres. Mais quand nos yeux commencent à parcourir les mots et le phrasé à la fois brut et terriblement travaillé de Sylvie Ohayon nos sentiments se bousculent : le rire, la consternation, la révolte, la compassion… tous interviennent au fil de notre lecture.


Derrière un titre caricatural et un résumé à l’apparence légère Sylvie Ohayon nous dévoile un univers dissimulé sous une multitude de clichés parfois justifiés. Elle nous propose de partir à la découverte de son parcours initiatique, de son apprentissage de la vie de « Bourgeoise » de son adolescence à ses trente ans.  Cependant le roman ne s’arrête pas à un défilé de descriptifs de portraits de bourgeoises plus ou moins folles, il prend corps et sens grâce au parcours de l’auteur. Née à La Courneuve elle doit apprendre à se faire une place dans un monde n’étant pas le sien. Un monde qu’elle méprise et qu’elle souhaite pourtant intégrer à la fois. 

« Je regardais Les Petites Bourgeoises de Paris passer les unes après les autres sur le catwalk de la rue de la Pompe (ça ne s’invente pas) et je faisais ma sélection : les Weston de la blonde, la doudoune de la grosse, les bottes de la troisième, celle qui se planque sous ses mèches pour cacher son gros cul pas autorisé en ces contrées de contention en tout.
Je passais commande, c’était mon net-à-porter bien avant l’invention d’internet. J’inventais la mode du vintage avant l’heure. Je recyclais. (...) Alors je devenais complice. Je faisais mes courses sur les trottoirs du XVIe, j’en redemandais parfois. Je préparais ma garde robe parisienne. Mon garde du corps, celui qui me protègerait, garderait secrètes mes origines ; je ne serais pas démasquée. J’aurais l’allure riche, mais l’allure, c’est comme l’amour. On y a droit ou pas. Ça ne s’achète pas. J’étais une enfant à l’intelligence encore verte, je pensais que l’habit ferait de moi le moine . »


Depuis toujours fascinée par les belles choses et s’étant très tôt intéressée à la prose et à l’univers des grands auteurs du XIXe elle possède un sens du beau et de l’élégance qui la pousse à vouloir se faire une place dans le cadre social des « bourgeoises » et se détacher de son quotidien. Alors quand elle intègre un lycée fréquenté par les filles de bonne famille son monde se trouve bousculé. Elle fait face au mépris, à un monde à l’apparence confortable mais au quotidien codifié, à des âmes souvent fermées et froides. Elle va y vivre le rejet ce qui la poussera à toujours plus s’imposer dans ce  monde ne lui étant pas familier. 

Nous ferons la rencontre au fil des chapitres de jeunes adolescentes méprisantes enfermées dans la mentalité fermée de leur monde, de jeunes adultes voulant rejeter leur univers tout en en suivant toujours les codes, des femmes blessées en recherche et en manque constant d’affection se noyant dans des montagnes de luxe pour y trouver un semblant de reconnaissance et d’appartenance. Mais nous faisons surtout la rencontre de l’auteur au début jeune adulte puis femme prenant place dans un monde où elle a gagné sa place mais qu’elle juge toujours aussi sévèrement qu’elle même.

Car tout l’esprit et la vivacité du livre réside dans le paradoxe que vit l’auteur et personnage principal de ce livre. Si elle souhaite s’imposer dans l’univers matériellement confortable des bourgeoises en adoptant un train de vie similaire et en s’entourant de bien matériels faisant état de sa réussite elle ne peut s’empêcher de contester et critiquer la mentalité et le comportement de ses nouvelles pairs. Trouver sa place entre confort matériel, accomplissement professionnel et culpabilité de trahir ses origines et convictions ne s’avère pas simple. 
« Elle admirait son père qui était un homme cultivé comme un kibboutz 2.0, érudit et peu âpre au gain, si bien qu’elle culpabilisait de gagner plus d’argent que lui. Elle dépensait chez Colette, la boutique la plus chère du monde, des smics en chiffons japonais, elle ne pouvait pas être plus riche que lui, puisqu’elle lui était intellectuellement inférieure. Elle jetait son argent par les fenêtres des magasins chics (mais dans le sens inverse à celui habituellement observé), et elle et moi on avait ça en commun. J’avais honte, au début, de gagner en quelques jours deux mois du salaire de ma mère. Les parents de Charlotte étaient des gens qui exerçaient des métiers nobles, ils étaient docteurs en quelque chose, tous les deux, elle ne serait jamais docteur en publicité. C’était là son drame. »


Si elle s’attaque avec ardeur à certains portraits pour lesquels vous n’aurez pas plus de compassion, Sylvie Ohayon sait également nous transmettre la tendresse et l’affection sincère ressentie pour certaines des femmes de ce monde qu’elle essaye toujours d’adopter. 
« Ombeline préférait regarder les autres pour ne pas avoir à se voir. Elle me considéra longuement. Je distinguais ses yeux noisette un peu trop grands, et je croyais voir une enfant qui découvre noël et ses cadeaux. Elle était émerveillée par des choses minuscules. La couleur des cheveux d’une fille qui passe sous un rayon de soleil, le rouge du vernis qui s’écaille d’une autre. Le nuage que fait le lait quand il plonge dans une mer noire. Pas ravie de la crèche pour deux sous : Ombeline prenait le temps de regarder la vie autour. Et je pensais, voilà, c’est aussi ça être une bourgeoise, pouvoir s’offrir le luxe d’observer ce que personne ne prend le temps de voir. ». 

Nous régalant avec une plume acide, tranchante, gracieuse et définitivement juste les trois cents pages du roman défilent à une vitesse hallucinante sous nos yeux. Toujours surpris par le parcours des différentes bourgeoises présentées et soigneusement habillées des mots de Sylvie Ohayon nous n’avons pas le temps de nous ennuyer ou de tomber dans la redondance. Ayant accomplit une carrière dans la publicité en tant que concepteur rédacteur l’auteur ne peut que nous entraîner dans son récit avec des phrases savamment choisies et percutantes. 
« Les bourgeoises et le cul…Pas besoin d’être Michel Foucault pour comprendre qu’elles ne savent pas mettre de limites quand la lumière s’éteint et que le drap se referme sur elles. On leur a appris à tout cacher, à ne jamais se plaindre. On leur a montré que la vie réussit à celles qui se taisent, savent prendre sur elles. Alors, quand elles se retrouvent dans le noir, elles dévoilent leur part animale honteusement cachée. Elles hurlent, elles se lâchent. Elles rééquilibrent. » 


J’ai parfois eu la sensation de retrouver l’esprit vif, extrêmement critique et lucide du personnage d’Octave de 99 francs dans « Les Bourgeoises » dans la façon qu’avait l’auteur de décrire et de raconter sans détours des anecdotes et passages de vie (le passé publicitaire des deux auteurs y étant probablement quelque chose). 

Je recommande donc chaleureusement la lecture de ce roman nous transportant dans un monde pas nécessairement familier et que l’on apprend à redécouvrir à travers des yeux neufs, une langue aiguisée, une honnêteté à toute épreuve. Je vous laisse ainsi avec les lignes résumant probablement le mieux l’esprit affuté et autocritique de ce livre.
« A La Courneuve, où j’ai grandi, j’ai dû apprendre seule à survivre à la bêtise qui est la fille de l’ignorance. Elles, les bourgeoises, savaient la Connaissance qui permet de tenir bien haute la dragée. On leur avait montré les livres et les musées, elles connaissaient les manières qui sont la vaseline qui fait avaler en souriant des collines de merde. Elles vivaient leur vie comme on consomme un plat ; du coup, elles trouvaient souvent une justification morale à leurs actes de bêtes humaines. Et moi j’avais dix-sept ans. Je les détestais sans même les connaître et pourtant je voulais être elles. »


One Response so far.

  1. Elli says:

    j'aime tous les livres de cette auteure. bravo pour cette belle critique.

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